jeudi 29 mai 2025

Plaidoyer pour sensibiliser les LSP à une utilisation responsable de l'IA

Dans le sillage de mon précédent billet sur les dangers encourus par notre profession, j'ai décidé de m'attaquer à la problématique du « grand remplacement » des traducteurs par l'IA, dans ce nouvel univers impitoyable (comme on disait à Dallas) où les acteurs dominants ne sont plus les meilleurs traducteurs, mais les meilleurs systèmes intelligents de traduction/production : donc si ce n'est pas encore le « grand remplacement », c'est a minima le « grand chamboulement »...

D'une manière générale, le « grand remplacement » concerne beaucoup de métiers, rendus obsolètes par la transformation massive du marché du travail due à l'IA, et les nombreuses peurs que cela suscite sont légitimes, parfois exagérées, certes, mais bien réelles. IBM, qui a également décidé de devenir une société AI-first, vient juste de supprimer 8000 emplois (soit env. 3% de ses effectifs) dans le cadre d'une restructuration, après avoir automatisé leurs fonctions grâce à l'IA. La nouvelle philosophie du big boss d'IBM, Arvind Krishna, est « ready-to-be-fired », tenez-vous prêts à être licenciés... À bon entendeur, salut !

Donc, pour en revenir aux traducteurs, le principal problème aujourd'hui est la conduite des LSP, qui recherchent essentiellement le coût minimal (survivre), alors qu'ils devraient tabler sur la valeur maximale (bâtir pour l'avenir), à savoir la valeur réelle du travail linguistique.

En se plaçant comme intermédiaires entre leurs clients et les traducteurs auxquels ils font appel, les LSP ont une triple responsabilité (notamment en termes de transparence contractuelle quant à l'utilisation de l'IA) : 1) vis-à-vis d'eux-mêmes et de leurs collaborateurs internes ; 2) vis-à-vis de leurs clients ; 3) vis-à-vis de leurs collaborateurs externes.

Convention d'usage : je continue d'employer le sigle anglais LSP (Language Service Providers) pour faire une distinction entre les grands groupes fournisseurs de services linguistiques (qui facturent auprès de milliers de clients des dizaines et des centaines de millions d'euros ou de dollars, Transperfect a même dépassé le milliard de $ de CA) (voir le tableau ci-dessous pour les principaux) et les traducteurs qui, après tout, sont eux aussi des prestataires de services linguistiques...


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1) Responsabilités des LSP vis-à-vis d'eux-mêmes et de leurs collaborateurs internes

En tant que traducteur, je n'ai absolument aucune visibilité sur la façon dont les LSP pour qui je travaille forment et exploitent leurs moteurs de traduction automatique, j'imagine que ce doit être un mix entre ressources internes et externes, à la fois neuronales et d'IA générative.

Or quelle que soit la réalité actuelle, tôt ou tard, tous n'utiliseront plus que l'IA. C'est dans cette perspective que je me place pour rédiger ce billet. Il s'agit de savoir s'ils s'en serviront dans une logique de complémentarité ou de remplacement, et où mettront-ils le curseur. That is the question, disait quelqu'un...

Pour un LSP, le recours à l'IA comporte différentes menaces : réduire peu ou prou la part humaine dans la traduction peut en compromettre la qualité, la durabilité ainsi que la valeur réelle des services offerts, auquel cas un « grand remplacement » s'avérerait contre-productif, y compris économiquement et stratégiquement, d'où un risque réputationnel important (erreurs d'IA, traductions erronées, absurdités culturelles, contresens juridiques ou médicaux et conséquences, y compris financières et pénales, hallucinations, biais, problèmes de sécurité, fuites de données, risques éthiques, y compris en termes de propriété intellectuelle, etc.).

En tant qu'entreprise à part entière, tout LSP a des responsabilités envers ses collaborateurs internes (chefs de projets, linguistes salariés, gestionnaires qualité, etc.) pour développer son propre modèle économique et sa vision à long terme dans un secteur en plein bouleversement. Pour être crédible, il doit d'abord commencer par être cohérent avec les valeurs qu'il professe :

Éthique et transparence dans la gestion

  • Assumer une stratégie claire et responsable : ne pas sacrifier la qualité sur l’autel du volume ou des marges à court terme
  • Mettre en place une gouvernance éthique, avec des décisions cohérentes entre le discours externe (qualité, fiabilité) et les pratiques internes
  • Éviter les dérives opportunistes (exploitation des ressources, opacité contractuelle, dumping tarifaire…)

Formation et développement des compétences internes

  • Accompagner la montée en compétences des chefs de projet, relecteurs, linguistes internes
  • Fournir des outils adaptés, des temps de formation et une culture de la qualité
  • Encourager une compréhension linguistique réelle, et pas uniquement une gestion de flux

Valorisation et bien-être des collaborateurs internes

  • Offrir un cadre de travail stable, motivant, où les équipes se sentent respectées et reconnues
  • Limiter la pression excessive sur les délais, les volumes ou les outils
  • Promouvoir une culture d’équipe fondée sur la collaboration, pas la compétition

Vision stratégique à long terme

  • Ne pas se laisser piéger par des logiques de volume au rabais
  • Investir dans l’innovation linguistique sans sacrifier la qualité humaine
  • Anticiper les évolutions du secteur (intégration de l’IA, exigences RSE, diversification)

En bref, un LSP responsable vis-à-vis de lui-même et de ses collaborateurs :

  • a une gouvernance éthique et claire
  • investit dans les ressources humaines, pas seulement matérielles
  • construit un environnement de travail respectueux, motivant et cohérent
  • assure sa croissance sur la base de valeurs durables, pas d’opérations opportunistes
Ceci pour la théorie.

Transparence contractuelle

Tout ce qui précède devrait donc se concrétiser dans une charte contractuelle équitable et lisible (en interne comme en externe), or ce que je sais par expérience me dit exactement le contraire : lors de leurs acquisitions et absorptions successives, les grands groupes en profitent à chaque fois pour revoir les contrats de leurs nouveaux employés, à la baisse il va sans dire ! Et ils ne leur laissent aucun choix : soit t'acceptes soit t'es licencié(e) (ready-to-be-fired)...

Ceci pour la pratique.

Nous sommes vraiment entrés dans l'ère de l'ingénierie financière et managériale appliquée à la traduction, mais qui n'a plus rien à voir avec la traduction, où le langage est désormais traité comme une "commodity", un produit de base, de consommation courante, interchangeable et peu différencié, standardisé et scalabe, avec des remises au kilo (je plaisante à peine), où la technologie compte (bien) plus que les personnes, plutôt qu’un bel acte de communication humain et culturel.

Les discours marketing accrocheurs et fallacieux d'un côté, la réalité pure et dure de l'autre... 

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2) Responsabilités des LSP vis-à-vis de leurs clients

Les clients attendent des LSP plus que des traductions : une valeur métier, une fiabilité constante, une vraie capacité à saisir les enjeux qui sont les leurs. Les LSP sont des intermédiaires, certes, mais pas de simples passeurs de commandes, plutôt des facilitateurs stratégiques censés garantir la qualité, l'efficacité et la valeur ajoutée tout au long du processus de traduction. Ils doivent être capables d'appréhender, d'analyser et de gérer les besoins et les objectifs des clients, leurs attentes, leur public cible, le ton souhaité, les contraintes techniques (formats de fichiers, etc.), et de les conseiller sur les meilleures approches (traduction humaine, post-édition de TA, IA générative), en les informant toujours lorsque le binôme MTPE-IA est utilisé sur un projet, et en leur communiquant régulièrement l'avancement des projets.

Leurs engagements doivent répondre à des finalités de communication précises :

  • Comprendre leurs exigences réelles et les satisfaire de manière pertinente (analyse des besoins en amont, clarification des zones d’ambiguïté, livrables correspondant aux usages réels du client)
  • Communiquer de façon claire et respectueuse (établir une relation fondée sur la transparence et la confiance)
  • Garantir un haut niveau qualitatif, sans compromis (produit linguistique fiable, conforme, à forte valeur ajoutée)
  • Protéger l'image des clients, leurs données, leurs stratégies (confidentialité, éthique, sécurité)
  • Les accompagner dans la durée, en véritable partenaire, et non pas comme un fournisseur interchangeable (conseil stratégique)

Transparence contractuelle

J'ignore ce que les LSP vendent réellement à leurs clients. J'ose juste espérer qu'ils ne les trompent pas sur la marchandise, en spécifiant contractuellement pour chaque mission la nature exacte de la prestation : traduction à 100%, ou MTPE mâtinée d'IA assurée par un finisseur ? Autrement dit le post-éditeur de traduction automatique, soumis à la double contrainte des prix bas et des délais irréalistes, et responsable de fournir, assez souvent en dépit du bon sens, un résultat final d'un niveau qualitatif équivalent à celui d'une traduction humaine...

La seule conclusion est qu'au fil des ans, je présume que les clients sont satisfaits, mais cette satisfaction se fait sur le dos des traducteurs-prestataires, dont la qualité des conditions de travail n'a cessé de se dégrader considérablement, et ça continue : la pente est plus glissante que jamais !

Nous sommes même en train de passer le cap de l'effet Mozart, dont la limite me semblait pourtant intangible vu l'incompressibilité de certains délais d'exécution, que la technologie et la productivité galopantes n'auraient jamais pu dépasser (et encore moins sans l'intervention humaine). Pour rappel :

Si, en 1790, il fallait cinq musiciens pour interpréter un quintette de Mozart durant tant de minutes, aujourd'hui, en dépit des progrès techniques considérables qui ont été accomplis depuis, rien n'a changé : il faut toujours autant de musiciens jouant pendant autant de temps pour restituer la même œuvre !

Seule certitude, si ce seuil est franchi, la qualité s'en ressentira forcément (elle s'en ressent déjà, selon moi), IA ou pas IA... 

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3) Responsabilités des LSP vis-à-vis de leurs collaborateurs externes

Ce que les LSP devraient faire en théorie.

Les piliers de la production linguistique des LSP sont les traducteurs et autres prestataires linguistiques externes (freelances, consultants, post-éditeurs…). Ce ne sont pas de simples exécutants, mais des partenaires de confiance, porteurs de la qualité livrée au client final.

Les LSP ont donc une responsabilité majeure à leur égard, aux plans humain (considération et reconnaissance), professionnel (qualité des échanges et des conditions de travail), stratégique (durabilité et fidélisation). Ils devraient donc construire une collaboration de long terme basée sur le respect, la transparence et la loyauté.

Or dans la pratique, ils font très exactement le contraire !

En mettant leurs "collaborateurs" dans des conditions de travail totalement irréalistes et en leur imposant de livrer des volumes compressés dans des délais fantaisistes sans justification ni compensation adéquates.

Voici quelques-uns des exemples tirés de mon expérience personnelle :

  • On m'a récemment proposé la traduction d'états financiers de l'anglais au français, avec de nombreux tableaux pleins de chiffres. Les chiffres étant considérés comme des correspondances à 100%, ils ne sont pas pris en compte dans le tarif. Or dans cette combinaison linguistique, il faut changer TOUS les chiffres : mettre en français un espace insécable à la place de la virgule anglaise (qui marque les milliers), et une virgule à la place du point comme séparateur décimal. J'ai donc commencé un "dialogue" par courriel avec mon chef de projet pour demander de calculer tous ces tableaux dans le tarif, vu le temps considérable nécessaire pour effectuer toutes ces modifications. Après plusieurs courriels échangés sans qu'il ne me réponde jamais sur le fond, il m'a purement et simplement retiré le projet, alors que j'avais déjà traduit 800 segments... Un comportement grossier et inacceptable, pas professionnel pour un sou, un peu comme quelqu'un qui vous raccroche au nez en pleine conversation. Dans ce cas, le LSP devrait veiller à mieux former son personnel en interne !
  • Dans les instructions liées à la post-édition de traduction automatique, il est précisé de relire les correspondances à 100% de la mémoire de traduction pour en vérifier la validité. Gratuitement, c'est clair. Or la relecture a un tarif d'environ 1/3 par rapport à la traduction, cela devrait naturellement être calculé. Pourquoi donc prétendre d'un traducteur qu'il travaille gratuitement en plus d'être déjà très mal payé ?  
  • Une traduction récente à 150€ m'aurait été payée 400€ il y a un ou deux ans, soit une baisse de 63%, pouvant facilement aller jusqu'à 70 ou 75% dans de nombreux cas !
  • Je marrête là mais pourrais en remplir des pages...

Transparence contractuelle

En réalité, les LSP ont brillamment résolu le problème de la quadrature du triangle, cette "antique" manière de négocier les tarifs et les conditions de travail entre agences et traducteurs résumée dans l'adage suivant : entre COÛTS, DÉLAIS et QUALITÉ (cités par ordre d'importance), prenez-en deux et oubliez le troisième…

En clair, ces trois facteurs sont interdépendants, si vous en privilégiez deux, le troisième en souffrira :

  • qualité + délai → le coût augmente : pour tenir le délai sans sacrifier la qualité, vous payez plus cher la traduction
  • qualité + coût → le délai s’allonge : pour satisfaire les exigences en termes de coût et de qualité, il faut laisser plus de temps au traducteur
  • délai + coût → la qualité baisse : pour une traduction rapide à bas prix, la qualité sera sacrifiée 

Or avec les LSP plus aucun de ces facteurs ne peut être négocié, il leur faut les trois à la fois (une traduction parfaite livrée vite et très peu payée), c'est ça ou rien, soit tu acceptes nos conditions soit on ne t'appelle plus ! « Ready-to-be-fired », tenez-vous prêts à être mis de côté....

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Donc, à l'heure actuelle, loin de tous les discours marketing destinés à impressionner la galerie, la réalité des LSP est diamétralement opposée à l'image qu'ils souhaitent donner d'eux. Leur prétention incessante d'obtenir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière est fondamentalement problématique, mais, surtout, irréaliste et irrespectueuse, allant à l’encontre des principes de durabilité de leur modèle économique, de professionnalisme et de qualité.

Une approche saine consisterait à négocier clairement les priorités : si le budget est bas, il faut plus de temps ; si le délai est serré, le prix doit suivre ; si la qualité est non négociable, elle doit être valorisée à sa juste hauteur. Cette triple prétention constante ne permet pas d’atteindre un niveau de qualité professionnelle dans des conditions viables, ni de garantir un travail rigoureux, respectueux des standards de qualité et fidèle aux attentes du client final.

Il y a une incompatibilité majeure entre les trois exigences, on ne peut pas tout optimiser simultanément sans que l’un des trois piliers s’effondre. Ce modèle toxique met une pression injustifiée (si ce n'est par l'avidité du LSP) sur le traducteur freelance, sans reconnaissance équitable de son travail, et pousse le prestataire à s’épuiser, à bâcler, voire à quitter la profession :
  • travailler très vite pour peanuts fait automatiquement baisser la qualité (moins de relecture, moins de recherches terminologiques, aucune motivation pour travailler ainsi)
  • être très peu payé n'est pas rentable pour un professionnel compétent
  • exiger la perfection dans des conditions de travail déplorables n'est qu'une exploitation déguisée : niveau d'exigence maximal, sans rémunération à la hauteur
Tout finit par se savoir, l'image commerciale que les LSP souhaitent projeter est souvent en contradiction avec la réalité vécue par les traducteurs, et entre l'être et le paraître, ils devront bien finir par choisir...

Paraître :  
  • « Nous livrons des traductions irréprochables, effectuées par des experts natifs, dans tous les domaines. »
  • « Nous traduisons vos documents en un temps record, 24h/24, 7j/7. »
  • « Des tarifs attractifs pour toutes vos langues et projets. »
  • « Nous utilisons les meilleures technologies de TAO, d'IA et de gestion de projets. »
  • « Notre force : un réseau mondial de professionnels qualifiés dans toutes les combinaisons linguistiques. »
Être :

en décalage total et permanent entre image et réalité, avec une stratégie commerciale attrayante (prix, rapidité, qualité imbattables), mais en coulisses des promesses qui ne tiennent que par une pression constante sur les traducteurs : ils vendent du haut de gamme à leurs clients, tout en exigeant du low-cost de leurs prestataires. Ce n'est pas un modèle économique durable !

Côté clients, il serait important qu'ils aient conscience de cette réalité, quand bien même personne ne le leur dit ! Côté traducteurs, ils/elles devraient apprendre à négocier en connaissance de cause, pour refuser de jouer un rôle dans une relation commerciale toxique et défendre la valeur réelle de leur travail face à une illusion marketing séduisante mais trompeuse.

En conclusion, LSP ne doit plus signifier Low Service Provider !



lundi 26 mai 2025

Traducteur : un métier en voie de disparition ?

De même que j'écrivais, dans mon précédent billet, les (post)-éditeurs ne sont pas des traducteurs, aujourd'hui je peux l'affirmer : les traducteurs ne sont plus des traducteurs ! Tout juste, à la limite, des post-éditeurs manqués, de simples "finisseurs", professionnellement sous-évalués et financièrement sous-payés...

Il faut avant tout faire une distinction essentielle entre traduction littéraire et traduction technique. Pour les traducteurs littéraires, il est clair que la post-édition de traduction automatique n'est pas de la traduction. Pas à la hauteur de ce que doit être la traduction littéraire ! En revanche, les LSP prétendent des post-éditeurs qu'ils produisent une post-édition finale d'un niveau qualitatif équivalent à celui d'une traduction humaine et qu'ils en assument la responsabilité, tout en les payant de 50% à 75% moins cher que pour une traduction standard par rapport aux périodes précédentes...

Autrement dit, non seulement ils prétendent avoir le beurre et l'argent du beurre et trouvent ça normal, mais en plus ils veulent le sourire de la crémière. Et gare à protester, sous peine de ne plus se voir confier aucune mission !

Comment donc a-t-on pu en arriver là ? Et pourquoi, sur le principe, la traduction technique devrait-elle être traitée différemment de la traduction littéraire ?

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1. Comment a-t-on pu en arriver là ? 

En fait, la question, elle est vite répondue : nous sommes passés entre-temps de la traduction artisanale à l’industrie linguistique, et les LSP, qui sont devenus des industriels de la traduction, pratiquent désormais l'ingénierie financière et managériale appliquée à la traduction plutôt que la traduction elle-même.  

Si l'on remonte une cinquantaine d'années en arrière, la traduction était largement artisanale, réalisée par des traducteurs individuels ou de petites agences locales, uniquement à la main (le seul outil étant la machine à écrire, puisque le traitement de texte n'est apparu que vers la fin des années 80 avec la démocratisation grandissante des ordinateurs personnels), pour le plus à destination de marchés restreints au niveau de la ville, voire régional dans le meilleur des cas.

Or durant la décennie 1990-2000, trois phénomènes majeurs vont changer la donne :

  • La mondialisation des échanges et la numérisation des contenus
  • L’apparition et la généralisation des outils de TAO (traduction assistée par ordinateur)
  • L’émergence des fournisseurs de services linguistiques (LSP = Language Service Providers) comme nouveaux acteurs globaux
Premier phénomène : l’internationalisation des entreprises a entraîné une explosion de la demande en communication multilingue. De même, l’essor du web, de l’e-commerce et des logiciels a créé de nouveaux besoins : localisation de sites, d'interfaces, de notices, dans des dizaines de langues, avec un contenu non seulement imprimé, mais dématérialisé, évolutif, distribué mondialement. À partir de là, la traduction devient un processus stratégique dans la chaîne de production globale.

Deuxième phénomène : avec les mémoires de traduction, les outils de gestion terminologique et la segmentation automatique des textes, les outils de TAO ont structuré le travail en permettant de gagner du temps, d’améliorer la cohérence et de réduire les coûts sur les contenus répétitifs. Donc si d'un côté la traduction devient optimisable et réutilisable (véritable processus industriel), de l'autre ce n'est plus qu'une brique, une composante du processus de localisation, qui va bien au-delà de la simple traduction.

En clair, la localisation se pense en termes d’expérience utilisateur locale, pas juste de texte traduit :

  • Traduction des contenus
  • Aménagements techniques (formats, interfaces, compatibilité logicielle)
  • Normes locales (unités de mesure, monnaies, formats de date/heure, etc.)
  • Marketing local (ton, références culturelles, images pertinentes)
  • Conformité légale (mentions légales, RGPD, exigences locales)
  • Tests linguistiques et fonctionnels (sur logiciels, applis, sites)
  • Adaptation des modes de paiement, des conditions de livraison, des références culturelles, des interfaces, des commandes, etc.

Face à une montée en gamme aussi puissante et rapide, de nombreuses agences traditionnelles, souvent restées artisanales, n’ont pas suivi le rythme. Incapables d'investir suffisamment dans les nouvelles technologies et dans des ressources humaines adéquatement formées, elles ont conservé trop longtemps des modèles économiques rigides, centrés sur le papier et le relationnel local. D'où la difficulté, voire l'impossibilité, de gérer des projets multilingues complexes, avec l'inéluctable perte de compétitivité qui s'en est suivi face aux plateformes internationales. Par ailleurs, les multinationales préfèrent traiter avec un seul prestataire pour déployer leurs produits et services partout dans le monde (ship once), plutôt que d'avoir un interlocuteur par pays...

Troisième phénomène : l'émergence de fournisseurs de services multilingues à grande échelle, qui sont à la fois agences, ingénieurs, plateformes, etc., et ont su s’adapter à un monde globalisé, numérisé et industrialisé, en offrant des services plus rapides, plus larges et souvent moins chers tout en articulant la production linguistique comme une chaîne industrielle structurée, mondialisée et technicisée, a profondément transformé l’univers de la traduction, tant sur le plan économique que technologique, organisationnel et professionnel.

Nous le savons, la nature a horreur du vide. Ainsi, là où les agences ont laissé la place, les LSP l'ont immédiatement occupée, en industrialisant les processus linguistiques, en développant les chaînes de production, en automatisant les flux et, de plus en plus, la gestion de projets multilingues complexes, et en introduisant une sous-traitance massive, d'où une dépendance moindre à la qualité individuelle du traducteur, désormais traité comme un service externalisé parmi d'autres, standardisé et géré à l’échelle mondiale.

Last but not least, l'adoption par tous ces grands groupes de la traduction automatique (TA) statistique, puis neuronale, a d'abord relégué la tâche du traducteur à celle de post-éditeur de traduction automatique, et désormais, avec l'arrivée de l'intelligence artificielle dans la TA, au rôle encore plus dévalorisant de simple "finisseur"...

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2. Pourquoi, sur le principe, les traducteurs techniques devraient-ils être traités différemment des traducteurs littéraires ?

De prime abord, il est évident que traduction technique et traduction littéraire ont des finalités, des méthodes, des compétences et des contraintes distinctes, et répondent à des logiques fonctionnelles et expressives radicalement différentes :


Il n'empêche que cette diversité ne saurait effacer les points communs fondamentaux entre l'une et l'autre, liés à la nature même de la traduction comme acte de médiation linguistique et culturelle. Car indépendamment de l'aspect technique ou littéraire, traduire revient à interpréter et recréer dans une autre langue :

Transfert de sens entre langues
  • Objectif commun : transmettre un message d’une langue source à une langue cible.
  • Le traducteur doit comprendre l’intention de l’auteur et la rendre de manière fidèle et adaptée.
  • Qu’il s’agisse d’un poème ou d’un mode d’emploi, le sens prime, même si les moyens diffèrent.
Compétence linguistique et culturelle élevée
  • Le traducteur doit maîtriser parfaitement les deux langues (source et cible).
  • Il doit aussi connaître les références culturelles, les contextes d’usage, les registres.
  • Une mauvaise compréhension d’un mot ou d’une tournure peut altérer le message, quelle que soit la nature du texte.
Nécessité d’adaptation
  • Aucune traduction ne peut être strictement mot à mot.
  • L’adaptation est toujours nécessaire, même dans les textes techniques : certaines unités de mesure, normes, formules changent selon les pays.
  • En littérature, l’adaptation est stylistique et culturelle, mais dans les deux cas, il faut adapter au public cible.
Précision et rigueur
  • La rigueur terminologique est cruciale en technique, mais la rigueur stylistique est tout aussi essentielle en littéraire.
  • Dans les deux cas, une erreur de sens ou de registre peut compromettre l’ensemble du travail.
Utilisation croissante des outils d’aide à la traduction
  • En traduction littéraire aussi, certains traducteurs utilisent des mémoires de traduction, des dictionnaires numériques, voire des outils d’alignement.
  • En technique, ces outils sont essentiels, mais dans les deux domaines, la technologie assiste, sans remplacer, le jugement humain.
Processus intellectuel et créatif
  • Bien que la création soit plus visible en littérature, toute traduction demande une part de créativité, notamment pour résoudre des problèmes de sens, de style ou d’équivalence.
Un même métier, donc, avec une base commune de passeurs de sens : les traducteurs, qu'ils soient littéraire ou techniques, doivent posséder diverses compétences linguistiques et culturelles semblables, et être capables de jongler entre fidélité et adaptation.

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Donc pourquoi les littéraires estiment-ils que les (post)-éditeurs ne sont pas des traducteurs, là où les techniques devraient produire des post-éditions d'un niveau qualitatif équivalent à celui d'une traduction humaine et en assumer seuls la responsabilité, dans des conditions de travail totalement insatisfaisantes, frustrantes ?

Simplement parce que ce ne sont plus les traducteurs à décider, mais les LSP qui prennent les décisions à leur place. En fait, la réalité est que les traducteurs techniques n'ont plus leur mot à dire ! Un comble...

Et avec l'arrivée du binôme traduction automatique/intelligence artificielle, ils l'auront de moins en moins. Disons du reste que face aux mastodontes tout-puissants que sont devenus les LSP, le traducteur individuel ne compte plus rien. Ce n'est même plus la lutte du pot de terre contre le pot de fer, c'est la débâcle totale, la capitulation sans condition : renonciation à poursuivre la bataille et soumission immédiate à l'ennemi sans aucune compensation ni contrepartie économique ou autre...

Les LSP se croient désormais en terrain conquis : ils ont planté leur étendard sur le champ de ruines de la traduction artisanale. Hors de nous, il n'y a pas, n'y a plus, de marché de la traduction, sont-ils convaincus, tout comme de pouvoir faire à moins des traducteurs, en vertu de leur nouvel adage : AI-first...

Cela s'inscrit parfaitement dans leur logique d'ingénierie financière et managériale, où leur modèle économique n'est plus la traduction, mais où la traduction est juste une brique parmi d'autres au service de leur modèle économique, nuance ! Où la priorité stratégique n’est plus la qualité linguistique en soi, mais la gestion optimisée des flux de traduction (le good enough suffit amplement) et des flux financiers connexes. Un glissement qui s’explique par des dynamiques économiques, technologiques et structurelles, avec des avantages énormes pour les LSP selon une approche financière dominante :

souvent cotés en bourse ou détenus par des fonds d’investissement, ils ont pour priorité la croissance, la rentabilité, les acquisitions, et investissent bien davantage dans les technologies propriétaires que dans le recrutement et la formation de ressources humaines, avec un modèle économique dominant fondé sur des investissements financiers (fonds privés, fusions-acquisitions) et des objectifs consistant à réaliser des économies d'échelle, accélérer les livraisons, maximiser les volumes, en vue de transformer les services linguistiques en produits financiers, accessibles à grande échelle grâce à la standardisation, la réduction des coûts et des délais de livraison ultra-rapides, ce qui signifie :

  • chaînes de production linguistique jalonnées d'étapes standardisées, projets multilingues gérés comme des produits logistiques
  • déploiement de nouvelles solutions techniques innovantes (TA+IA, smart TMS / Systèmes intelligents de gestion des traductions)
  • optimisation des marges plutôt que de la qualité linguistique, découpage des tâches à l'infini et externalisation (offshoring, crowdsourcing) bon marché
  • automatisation à outrance + post-édition et prestations externalisées vers des zones à faible coût, etc.

Résultat : le but est moins celui de produire des traductions de qualité que de rentabiliser un pipeline de traitement des langues, avec un contenu linguistique qui n'est plus qu'une matière première traitée comme une autre, une gestion du langage comme flux logistique et non plus comme un acte culturel, où le traducteur n'est plus un partenaire mais un prestataire modulable et corvéable à merci.

Et puisqu'on n'arrête pas le progrès, il est désormais question d'automatiser la post-édition... 


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Il y a presque deux mois, j'ai ouvert un fil de discussion sur Proz, une place de marché bien connue, fréquentée par des traducteurs professionnels, sur la problématique des fournisseurs de services linguistiques de qualité inférieure, qui a généré une piètre participation ! Chose pour moi incompréhensible, vu que les traducteurs sont les premiers à subir les aléas de cette situation. Je m'en suis étonné en précisant que, selon moi, en réponse à la question : « Qu'est-ce que nous pouvons faire pour ne pas subir cette situation et changer la donne ? », la première des choses à faire serait pour le moins d'en parler entre collègues. Ce à quoi Carla a rétorqué qu'en parler, c'est bien, mais ce qui importe est surtout de trouver des solutions.

Ce billet est ma réponse à cette sollicitation : il ne peut y avoir de solutions techniques, juste des solutions culturelles, éthiques

Je m'explique. Au niveau technique, la voie est toute tracée et il n'y aura pas d'inversion de tendance. On assisterait plutôt à une fuite en avant qu'à un retour en arrière. Plus tôt ce mois-ci, nous en avons eu un exemple éclatant avec Duolingo, qui a annoncé en grandes pompes devenir AI-first en licenciant dans la foulée une partie de ses effectifs, avant de revenir sur ses pas en catastrophe en moins de deux semaines !

Preuve s'il en était que passer brutalement à l'IA pour remplacer les personnes en automatisant leur fonction n'est pas encore la panacée. Dans sa prise de position sur l'IA, qui remonte déjà à près d'un an, la SFT (Société Française des Traducteurs) déclare que l'humain doit rester au cœur de la technologie en émettant quatre revendications (c'est moi qui graisse) :

  1. Elle appelle au respect de la création et du savoir-faire humain et recommande de proscrire le remplacement de l’expert linguistique par l’IA.
  2. Elle réclame plus de transparence sur l’origine et la production des contenus. Cette transparence doit être la règle et la production machine doit être clairement identifiée pour la distinguer de la création humaine.
  3. Elle demande le partage équitable de la valeur créée par les services linguistiques et dénonce la baisse de rémunération ainsi que la dégradation des conditions de travail de professionnels hautement qualifiés, alors que le marché global ne cesse de croître.
  4. Elle alerte sur la disparition des professions des langues, notamment le corps enseignant et les pouvoirs publics en charge des programmes scolaires et universitaires sur l’importance de la formation des jeunes générations.

Certes, l'intention est louable, mais utopique, puisqu'elle ne correspond plus à la réalité : ce sont les LSP qui font le marché, et considérations financières et promesses d'énormes profits passent devant tout le reste. Donc, concrètement, que peuvent faire les traducteurs pour lutter contre ça ? 

Il y a dix ans, je publiais un plaidoyer pour un marketing de la traduction, où j'écrivais :

Ceci pour convaincre les destinataires de cette action marketing tous azimuts que la traduction est autre chose : think different…, en substituant systématiquement aux connotations négatives des messages positifs et redondants, en transposant l’image d’Épinal de la traduction sur le plan d’une communication culturelle moderne, en faisant œuvre de divulgation pédagogique et constante. Un message que j'essaie de faire passer à chaque fois que l'occasion m'en est donnée.

Plus généralement, cette activité permanente de sensibilisation et de conscientisaton doit être menée à tous les niveaux de la filière :
  • enseignants et formateurs, 
  • aspirants traducteurs-interprètes, 
  • traducteurs-interprètes de métier, 
  • agences de traduction, 
  • clients directs et potentiels, 
  • pouvoirs publics, 
  • citoyens en général, 
et faire ensuite de chacun de ces acteurs un ambassadeur de l’image de marque de la traduction dans le monde et auprès de tout le monde.

Dix ans plus tard, je crois que je vais devoir ajouter les LSP à la liste, et m'atteler à la rédaction d'un plaidoyer pour les sensibiliser sur une utilisation responsable de l'IA, non seulement vis-à-vis des traducteurs eux-mêmes, mais aussi vis-à-vis de leurs clients !

Dans tous les secteurs, des appels résonnent pour faire évoluer l'IA, de simple robot conversationnel à collègue de travail, d'assistant à collaborateur. L'IA ne doit plus être considérée dans une optique de remplacement, mais d'accompagnement de l'humain. Ce n'est pas juste un AI-vs-human match, mais une alliance entre l'IA et l'humain, où chaque traducteur, dans notre cas, doit se repositionner comme élément indispensable à la bonne utilisation de l'intelligence artificielle. Et le faire entendre, et le faire comprendre, aux LSP !

Encore faut-il pour cela que la profession soit capable de s'unir pour faire front, de rassembler toutes les idées de celles et ceux qui en ont, de voir comment les organiser, les diffuser, d'analyser les objectifs sous-jacents à la communication, d'en assurer un suivi, etc. Il y aurait tant à faire !

À dessein, le titre de ce billet est provocateur. Il est clair que la disparition de notre métier n'aura pas lieu du jour au lendemain, mais qu'elle sera précédée par une déqualification généralisée puis par une raréfaction grandissantes des ressources. C'est à ce stade-là que nous devons - et devrons - intervenir, puisque nous y sommes déjà. Mais pour ce faire, nous devons commencer par nous parler, maintenant. Car bientôt il sera trop tard...



samedi 10 mai 2025

La post-édition de traduction automatique n'est pas de la traduction

Dans mon récent billet sur les fournisseurs de services linguistiques (LSP) de qualité good enough (pour ne pas dire inférieure), je faisais le constat suivant :

De plus en plus la traduction se transforme en MTPE : Machine Translation Post-Edition ! Autrement dit le traducteur devient post-éditeur de traduction automatique (concept normalisé depuis déjà 8 ans), ce qui n'est plus le même métier...

Quelle n'a pas été ma surprise de voir passer cette semaine l'actu suivante : « Le Danemark affirme que la post-édition n'est pas de la traduction » !

En fait, c'est tout ce qu'il y a de plus officiel. Le programme de "droit de prêt public (DPP)" (Public Lending Right / PLR), dans lequel sont impliqués 35 pays (dont 29 européens) et que le Danemark a été le premier à adopter (1941) et à mettre en œuvre (1946), a pour utilité de permettre aux auteurs et autres titulaires de droits de toucher une somme versée par l’État en compensation du prêt à titre gratuit de leurs livres par les bibliothèques notamment publiques.

Donc, au Danemark, les auteurs, traducteurs, illustrateurs, compositeurs, interprètes ou exécutants bénéficient d'un droit à rémunération lorsque leurs œuvres sont prêtées par des bibliothèques publiques. En revanche, l’Association des traducteurs, la Société des auteurs et l’Association des éditeurs danoises ont publié en avril 2025 une déclaration indiquant que « certaines personnes ont perçu à tort des rémunérations au titre du DDP pour des livres dont elles avaient été identifiées comme les ayant traduits, alors qu’elles n'avaient effectué aucun travail de traduction, en se contentant juste d’éditer des textes déjà traduits par une machine. »

Pour conclure que la post-édition de textes générés et traduits par l'IA n'est pas éligible à la rémunération du droit de prêt public en vertu de la loi, qui ne couvre pas les (post)-éditeurs : la post-édition de livres traduits automatiquement ne doit pas être qualifiée de traduction, et les éditeurs utilisant l’IA ne doivent pas être crédités comme traducteurs dans aucune partie d’un livre ou de ses métadonnées, afin d’éviter un accès illégitime au supplément de rémunération lié au DDP.

Elles recommandent à la place que les traductions automatiques post-éditées incluent cette mention dans le livre : « La version danoise de ce livre a été éditée par [nom de l'éditeur] ».

Cela étant, les pays qui ont choisi d'instaurer un droit à rémunération ont défini leurs propres critères d'éligibilité, et ce qui vaut au Danemark ne vaut pas forcément dans les autres. Ça reste pourtant une première, à ma connaissance, et vu que la législation est en constante évolution et les technologies idem, il se pourrait que les danois soient des précurseurs et que l'initiative puisse s'étendre à d'autres pays...

Selon le CEATL, dans le même ordre d'idées :

l’Association des traducteurs du Danemark a mis à jour son contrat type en y ajoutant deux nouvelles clauses relatives à l’IA. Il s’agit essentiellement d’une double clause stipulant que a) l’éditeur ne peut pas céder les droits d’exploitation pour l’entraînement de LLM (grands modèles de langage) à moins d’y être autorisé par un accord individuel ou collectif, et b) le traducteur garantit que le travail rendu n’a pas été traduit/post-édité par une machine.

Le CEATL, Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires, a également lancé un Appel à la transparence pour les livres générés par IA, en préconisant que [l]es productions machine qui simulent des œuvres créatives en utilisant les IA génératives ne doivent pas bénéficier de la législation sur le droit d’auteur ni, plus généralement, être considérés comme des biens culturels.

Pour en revenir au Danemark et à l'importance financière des rémunérations liées au DDP, il faut savoir qu'en 2024 elles ont concerné en majorité les livres, à hauteur de 206 millions de couronnes danoises (soit un peu plus de 27 millions d'euros), versées à 10 328 bénéficiaires. À titre comparatif, en France, c'est un peu plus de 10 millions d'euros versés par les ministères de la Culture et de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en 2023. Je vous laisse approfondir pour les autres pays. 😀

En matière d'intelligence artificielle, la position du CEATL sur les langues est particulièrement intéressante : « Toutes les langues comptent : notre perspective professionnelle »

  • Les machines ne sont pas des traducteurs, mais des « traductoïdes » : elles ne traduisent pas, elles génèrent du matériau textuel.
  • Tous les genres littéraires méritent une traduction humaine.
  • Toutes les langues méritent une traduction humaine.

Pour l'heure, il est clair que ceci ne concerne que la traduction littéraire, et que la traduction technique et ses principaux acteurs (les LSP) sont à des années-lumière de voir les choses ainsi. J'ai été contacté cette semaine pour une révision. Avant de faire une offre, j'ai simplement posé la question de savoir si la traduction à réviser avait été faite par un traducteur humain ou si elle était le fruit d'une traduction automatique. Plus aucune suite à ma demande...

Un peu de transparence ne serait pas de trop !


P.S. La traduction technique est même diamétralement opposée à la traduction littéraire sur ce point, puisque la norme ISO 18587:2017 (Services de traduction — Post-édition d'un texte résultant d'une traduction automatique — Exigences) définit ainsi le concept de post-édition :
  • 3.1.4 / post-éditer : modifier et corriger un texte résultant d’une traduction automatique (3.1.2)
  • 3.1.5 / post-édition complète : processus de post-édition (3.1.4) permettant d’obtenir un produit comparable à un produit obtenu par une traduction humaine (3.4.3)
  • 3.1.6 / post-édition superficielle : processus de post-édition (3.1.4) permettant d’obtenir un produit qui soit simplement compréhensible, sans tenter de parvenir à un produit comparable à celui obtenu par une traduction humaine (3.4.3)
où la traduction humaine est simplement définie comme une « traduction effectuée par un traducteur » !