Dans mon récent billet sur les fournisseurs de services linguistiques (LSP) de qualité good enough (pour ne pas dire inférieure), je faisais le constat suivant :
De plus en plus la traduction se transforme en MTPE : Machine Translation Post-Edition ! Autrement dit le traducteur devient post-éditeur de traduction automatique (concept normalisé depuis déjà 8 ans), ce qui n'est plus le même métier...
Quelle n'a pas été ma surprise de voir passer cette semaine l'actu suivante : « Le Danemark affirme que la post-édition n'est pas de la traduction » !
En fait, c'est tout ce qu'il y a de plus officiel. Le programme de "droit de prêt public (DPP)" (Public Lending Right / PLR), dans lequel sont impliqués 35 pays (dont 29 européens) et que le Danemark a été le premier à adopter (1941) et à mettre en œuvre (1946), a pour utilité de permettre aux auteurs et autres titulaires de droits de toucher une somme versée par l’État en compensation du prêt à titre gratuit de leurs livres par les bibliothèques notamment publiques.
Donc, au Danemark, les auteurs, traducteurs, illustrateurs, compositeurs, interprètes ou exécutants bénéficient d'un droit à rémunération lorsque leurs œuvres sont prêtées par des bibliothèques publiques. En revanche, l’Association des traducteurs, la Société des auteurs et l’Association des éditeurs danoises ont publié en avril 2025 une déclaration indiquant que « certaines personnes ont perçu à tort des rémunérations au titre du DDP pour des livres dont elles avaient été identifiées comme les ayant traduits, alors qu’elles n'avaient effectué aucun travail de traduction, en se contentant juste d’éditer des textes déjà traduits par une machine. »
Pour conclure que la post-édition de textes générés et traduits par l'IA n'est pas éligible à la rémunération du droit de prêt public en vertu de la loi, qui ne couvre pas les (post)-éditeurs : la post-édition de livres traduits automatiquement ne doit pas être qualifiée de traduction, et les éditeurs utilisant l’IA ne doivent pas être crédités comme traducteurs dans aucune partie d’un livre ou de ses métadonnées, afin d’éviter un accès illégitime au supplément de rémunération lié au DDP.
Elles recommandent à la place que les traductions automatiques post-éditées incluent cette mention dans le livre : « La version danoise de ce livre a été éditée par [nom de l'éditeur] ».
Cela étant, les pays qui ont choisi d'instaurer un droit à rémunération ont défini leurs propres critères d'éligibilité, et ce qui vaut au Danemark ne vaut pas forcément dans les autres. Ça reste pourtant une première, à ma connaissance, et vu que la législation est en constante évolution et les technologies idem, il se pourrait que les danois soient des précurseurs et que l'initiative puisse s'étendre à d'autres pays...
Selon le CEATL, dans le même ordre d'idées :
l’Association des traducteurs du Danemark a mis à jour son contrat type en y ajoutant deux nouvelles clauses relatives à l’IA. Il s’agit essentiellement d’une double clause stipulant que a) l’éditeur ne peut pas céder les droits d’exploitation pour l’entraînement de LLM (grands modèles de langage) à moins d’y être autorisé par un accord individuel ou collectif, et b) le traducteur garantit que le travail rendu n’a pas été traduit/post-édité par une machine.
Le CEATL, Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires, a également lancé un Appel à la transparence pour les livres générés par IA, en préconisant que [l]es productions machine qui simulent des œuvres créatives en utilisant les IA génératives ne doivent pas bénéficier de la législation sur le droit d’auteur ni, plus généralement, être considérés comme des biens culturels.
Pour en revenir au Danemark et à l'importance financière des rémunérations liées au DDP, il faut savoir qu'en 2024 elles ont concerné en majorité les livres, à hauteur de 206 millions de couronnes danoises (soit un peu plus de 27 millions d'euros), versées à 10 328 bénéficiaires. À titre comparatif, en France, c'est un peu plus de 10 millions d'euros versés par les ministères de la Culture et de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en 2023. Je vous laisse approfondir pour les autres pays. 😀
En matière d'intelligence artificielle, la position du CEATL sur les langues est particulièrement intéressante : « Toutes les langues comptent : notre perspective professionnelle »
- Les machines ne sont pas des traducteurs, mais des « traductoïdes » : elles ne traduisent pas, elles génèrent du matériau textuel.
- Tous les genres littéraires méritent une traduction humaine.
- Toutes les langues méritent une traduction humaine.
Un peu de transparence ne serait pas de trop !
- 3.1.4 / post-éditer : modifier et corriger un texte résultant d’une traduction automatique (3.1.2)
- 3.1.5 / post-édition complète : processus de post-édition (3.1.4) permettant d’obtenir un produit comparable à un produit obtenu par une traduction humaine (3.4.3)
- 3.1.6 / post-édition superficielle : processus de post-édition (3.1.4) permettant d’obtenir un produit qui soit simplement compréhensible, sans tenter de parvenir à un produit comparable à celui obtenu par une traduction humaine (3.4.3)
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