jeudi 29 décembre 2022

Des bienfaits et des méfaits de la traduction automatique

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Voici plusieurs semaines que ce billet me trotte dans la tête. Mais le déclencheur est une proposition que j'ai reçue aujourd'hui de l'un des dix premiers groupes de traduction au monde ! Un boulot et des conditions de travail si merdiques que je n'ai jamais vu un tel désastre durant mes 38 ans de carrière !

Tout d'abord, une précision : je ne suis pas de ceux qui dénigrent envers et contre tout la place que doit avoir la traduction automatique (TA) dans notre métier. Car je reconnais qu'elle peut souvent apporter un gain de productivité considérable. Pour autant qu'elle soit utilisée avec critère et à bon escient. Ce qui n'est pas le cas pour toutes les combinaisons linguistiques, tous les secteurs et tous les développeurs.

Aujourd'hui la mode est claire : l'un des objectifs primordiaux des grands groupes prestataires de services linguistiques (LSPs pour nos amis anglo-saxons) est de développer un moteur neuronal de traduction automatique, chacun le sien. Avec plus ou moins de bonheur, il faut bien le dire. Et bien disons-le : surtout avec plus de malheur que de bonheur... 

D'abord au plan technologique : tous les LSP ne sont pas au même niveau, loin s'en faut. Ce qui se reflète sur les résultats de leurs moteurs de TA.

Ensuite selon la combinaison linguistique : plus un couple de langues est fréquent, plus le développeur est en mesure de fournir au moteur boulimique les masses énormes de données dont il a besoin pour faire son auto-apprentissage.

Idem pour les secteurs : plus un domaine est courant et mûr, plus il est en mesure d'alimenter le moteur.

Ainsi, vous aurez davantage de chance d'obtenir une TA qualitativement meilleure avec le couple anglais-français en informatique qu'avec le couple turc-javanais en aérospatiale, ça va de soi...

Or, pour parler d'expérience, la TA en droit/juridique italien-français fournit des résultats exécrables ! Un véritable piège, dont la principale raison est plutôt inattendue : très souvent l'italien et le français peuvent utiliser les mêmes mots, mais avec des sens différents ! Ce qu'un moteur de TA est absolument incapable de distinguer. Seul le traducteur humain peut le faire.

Par conséquent, quand bien même le moteur serait à la pointe de sa technologie, il fournit généralement une traduction incompréhensible, un texte sans queue ni tête, qu'un traducteur doit entièrement remanier et, au final, réécrire. Il n'y a donc aucun bénéfice à utiliser la TA dans ces cas-là, que ce soit en termes économiques ou de temps. Car dans ces conditions, le traducteur ne gagne pas de temps, il en perd. Et donc, selon le fameux adage "time is money", il perd aussi de l'argent.

Mais venons-en à ma proposition ! Arrivée le 29 décembre à 16h15', à livrer le 2 janvier à 14h : pas même 4 jours pour post-éditer 22850 mots en FR, soit plus 5700 mots/jour pendant le week-end et les fêtes du réveillon et du 1er de l'an ! Et comme le donneur d'ordre est généreux, il veut me payer à 50% de mon tarif en se fondant sur le fait que, selon lui, la TA me fournit 50% du travail déjà bien ficelé et qui n'est donc plus à faire...

Voyons plus en détail cette aberration à tous les niveaux, qui avance des prétentions totalement injustifiées et irrespectueuses du traducteur et de son travail !

Du reste, je ne sais pas trop par où commencer tellement cette "offre" est farfelue et indubitablement indigne d'un donneur d'ordre de ce niveau. Je vais tenter de procéder par ordre :

* MTPE (Machine Translation Post-Editing) : d'après ce que je comprends, l'objectif final des grands groupes n'est plus que de procéder par post-édition de traductions automatiques (on va garder le sigle anglais, parce que PÉTA...), ce qui relègue le traducteur a un rôle de second plan par rapport à la machine (bien que beaucoup s'en défendent) et permet surtout au donneur d'ordre d'abattre les tarifs payés d'environ un tiers par rapport à ceux d'une traduction normale... 

Premier problème : une bonne post-édition dépend énormément de la qualité du texte traduit automatiquement. Or c'est là que le bât blesse ! Pour reprendre mon exemple d'une traduction automatique juridique italien-français, le résultat n'est jamais - je dis bien, jamais - bon. Donc a priori perte de temps et d'argent pour le traducteur / post-éditeur, et tout bénef pour le donneur d'ordre si le traducteur accepte les conditions imposées sans rechigner, alors que nous ne sommes déjà plus dans la post-édition mais dans la réécriture : remanier chaque segment, retrouver le sens perdu par la TA et reformuler. Ce qui est plus chronophage que de traduire directement.

Juste un exemple de la TA à post-éditer sans trahir la confidentialité du texte : le prénom et nom de famille d'une partie au procès étaient ainsi rendus : Joyeux Père Noël (sic!). Je sais bien que c'est la période, mais bon... Donc, si la TA est capable de se planter dans les grandes largeurs sur une simple généralité, je vous laisse imaginer sur les segments plus complexes : du charabia ! Et le texte comprend 1200 segments... Dans ces conditions, prétendre que la TA a déjà fait la moitié du travail pour vous payer deux fois moins, c'est se foutre du monde. Car non seulement le texte produit n'est pas bon, mais en plus il est faux. Jamais un traducteur humain ne traduirait un nom de famille. La TA, si. Au final, aucun gain de temps, mais une perte : le temps nécessaire au post-éditeur pour virer l'erreur de la TA et rétablir le nom de famille initial. Temps perdu = argent perdu.

Deuxième problème : les quantités exigées. Il semble que depuis l'apparition de la TA dans notre métier, les clients autant que les agences de traduction ont perdu tout sens de la mesure. Pendant longtemps, la quantité jugée "normale" était d'à peu près 2500 mots/jour, seuil au-delà duquel on passait dans l'urgence, qui justifiait par conséquent une majoration d'environ 30% du tarif. Et si cette urgence (déterminée par le rapport quantité/difficulté/délais) tombait un week-end ou pendant les fêtes, autre majoration.

Pourtant "ma" proposition (post-éditer 22850 mots en moins de 4 jours pendant le week-end et les fêtes du réveillon et du 1er de l'an) ne prévoyait pas la moindre majoration, en se contentant de diviser par 2 mon tarif habituel. Pour une moyenne de 5700 mots/jours, qui est déjà plus du double des quantités autrefois jugées "normales". Que les clients pensent qu'avec la TA on peut "facilement" produire entre 7 et 10000 mots/jour, pourquoi pas, ils sont dans leur rôle. Mais que les agences les confortent dans cette idée sans faire œuvre de pédagogie pour leur expliquer que, non, cela ne correspond à rien et va au détriment de la qualité finale, c'est impardonnable, et surtout une façon de se défausser des retombées de leur pusillanimité sur le dos des traducteurs.

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J'ouvre ici une parenthèse pour revenir sur deux concepts qui me sont chers : la quadrature du triangle et le quintette de Mozart

La quadrature du triangle

Imaginez un triangle équilatéral avec aux trois côtés les légendes - DÉLAIS - COÛTS - QUALITÉ - et au centre le terme RESSOURCES :


- où la « ressource Traducteur » (seule composante « humaine » des ressources, matérielles, logicielles, etc.) est broyée dans l’engrenage irréalisable de faire cadrer des nécessités incompatibles, liées à la triple exigence des coûts, des délais et de la qualité (cités par ordre d’importance selon les clients)

- où les délais de remise de la traduction (c’est pour hier, comme on dit en italien) sont inversement proportionnels aux délais de paiement (à la fronde, et le plus tard possible)

- où le niveau des prix reconnus au traducteur (tarifs plus bas possibles) est inversement proportionnel au niveau de qualité requis (toujours être ultra-spécialisé et omni-polyvalent) (la « multicompétence »).

En fait, dans cette impossible équation de la quadrature du triangle, le concept est très simple : entre DÉLAIS, COÛTS et QUALITÉ, prenez-en deux et oubliez le troisième…

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Quant à l'effet Mozart, il a été théorisé par Rory Cowan, à l'époque PDG de Lionbridge Technologies :
Si, en 1790, il fallait cinq musiciens pour interpréter un quintette de Mozart durant tant de minutes, aujourd'hui, en dépit des progrès techniques considérables qui ont été accomplis depuis, rien n'a changé : il faut toujours autant de musiciens jouant pendant autant de temps pour restituer la même œuvre !
Cette belle métaphore sur l'incompressibilité de certains délais d'exécution souligne implicitement les limites de la technologie galopante, qui ne pourra jamais répondre à tout sans intervention humaine, notamment au plan de la productivité.

Des traducteurs en ce qui nous concerne. D'où l'inutilité de toujours les presser ... comme des citrons trop mûrs, en leur demandant l'impossible à tort et à travers.

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Or en analysant de plus près "ma" proposition, on se rend compte qu'elle exemplifie à merveille les deux concepts ci-dessus, en demandant l'impossible au traducteur, ou pour le moins l'irraisonnable (grosse traduction, difficile, texte de départ de mauvaise qualité mais prétention d'un texte d'arrivée de bonne qualité, délai très court, le tout payé des clopinettes), sans tenir compte de l'incompressibilité du délai d'exécution, la TA jouant dans ce cas un rôle de retardateur, et non d'accélérateur. Certes, nous sommes à la limite, mais pour qu'un traducteur de métier fasse bien ce travail dans le délai imposé, encore faudrait-il le motiver avec un tarif compris entre 2500 et 3000 € !  

Telle qu'elle est, cette proposition indécente est inacceptable par tout traducteur qui se respecte. Et quoi qu'il en soit indigne de l'un des dix premiers groupes mondiaux. Qui fait ainsi un triple tort :
  1. Au client, à qui le texte livré le 2 janvier à 14h sera selon toute probabilité de (très) mauvaise qualité ;
  2. À la profession de traducteur et à qui l'aura traduit en acceptant de telles conditions ridicules ;
  3. Au groupe lui-même, qui ne saurait baser sa croissance sur une telle politique en montrant que, ce faisant, il ne respecte ni ses clients ni les traducteurs qui travaillent pour lui (et je n'ose imaginer la marge qu'il dégagera entre ce qu'il aura demandé au client et ce qu'il aura payé au traducteur)...
If you pay peanuts, you get monkeys!   



jeudi 24 mars 2022

La traduction en France en 2022

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Mon étude de 2014 sur les acteurs du marché de la traduction technique et automatique en France, essentiellement des grands groupes, tentait de faire le tour de la situation, qui se résumait à l'époque comme suit :
  1. ORTEC 1 Md€
  2. Ubiqus 60 M€
  3. Telelingua 17 M€
  4. Datawords Datasia 16 M€
  5. Linguistique Communication Informatique 15 M€
  6. Technicis 11 M€
  7. Tradutec 10 M€
  8. Optilingua International 10 M€
  9. ADT International 8 M€
  10. WHP INTERNATIONAL 7 M€
  11. HL TRAD 6 M€
  12. CPW Group 3 M€
Essayons d'analyser la situation 8 ans plus tard !

Spécialisée en ingénierie linguistique dans l'aéronautique et le secteur spatial, mais pas seulementOrtec est toujours hors série et plutôt à part vis-à-vis des acteurs pure player de la traduction.

Dont le premier est sans aucun doute le groupe Acolad (ex-Technicis, en 6e position en 2014 avec un CA de 11 M€, contre plus de 330 M€ aujourd'hui, soit un levier de croissance de x30 en 8 ans...), qui a absorbé durant cette période, sous l'impulsion de Benjamin du Fraysseix (arrivé à la direction générale de la société en 2012) : VO Paris, Cogen, Translation Probst, Arancho Doc, Soget, Livewords, HL Trad, Sémantis, AAC Global, TextMaster, Telelingua, Amplexor et, last but not least, Ubiqus (qui pesait 6 fois le poids de Technicis en 2014...) !


Ces chiffres m'interrogent : 
  • 330 M€ de CA pour 1 million de projets/an, ça nous donne une moyenne de 330€ par projet !
  • 1 million de projets pour 25000 clients, ça nous donne une moyenne de 40 projets par client !
--> Le CA moyen de chaque client est de 13200 €, soit 1100€/mois.

Quant aux 2500 collaborateurs vs. les 20000 experts linguistes, j'imagine qu'ils proviennent de l'ensemble des 14 sociétés (Technicis + les 13 acquisitions), soit près de 180 salariés/société (vs. 1430 freelances/société), je vous dis pas le nombre de doubles, triples ou quadruples emplois, voire plus...

L'intégration a encore de beaux jours devant elle !

Pour autant, Benjamin suit donc son tableau de marche à rythme soutenu et ne compte probablement pas s'arrêter là, puisqu'il déclarait en décembre 2019 :
Conformément à notre nouveau business plan, nous ambitionnons de générer un chiffre d’affaires compris entre 300 et 400 M€ d’ici 3 à 5 années. À plus long terme, l’objectif sera d’avoisiner les 600 à 800 M€ de revenus...
De quoi le positionner à terme dans le Top 5, voire dans le Top 3, des principaux fournisseurs mondiaux de services linguistiques !

Pour autant, si telle est son ambition, j'imagine qu'il devra s'attaquer aussi à des proies outre-Atlantique, du calibre de WeLocalize voire, pourquoi pas, de Lionbridge, qui me semble un peu en perte de vitesse depuis quelques années... 

Le secteur du sous-titrage et domaines connexes réserve aussi quelques surprises avec 3 groupes français totalement inconnus du grand public : Dubbing Brothers, Hiventy et EVA, qui doivent avoisiner à eux trois 200 M€ de CA.

Pour l'heure, des 12 acteurs ci-dessus, Acolad en a déjà acquis 4 (Ubiqus, Telelingua, HP Trad et CPW Group), voyons la situation des autres :

Datawords est encore mentionnée dans le Top 100 des fournisseurs linguistiques dressé par Nimdzi, mais hors classement en raison du fait qu'ils ne divulguent pas, ni ne publient ou révèlent leur CA. Toutefois, aux dernières nouvelles, le groupe a poursuivi son développement international et célébré son 20e anniversaire en juin 2020 avec un CA de 70 millions d’euros à fin 2019 (vs. 16 millions d'euros en 2014)... 

Quant à LCI - Linguistique Communication Informatique, la société qui fait concurrence à Ortec dans les secteurs aéronautique, spatial, défense, automobile et mobilité, elle a été acquise en 2018 par le groupe NOVAE, composé aujourd’hui de plus de 300 collaborateurs en France et dans le monde en réalisant un chiffre d’affaires d'environ 30 millions d’euros, dont les services linguistiques ne sont qu'une partie.

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Concernant Tradutec, fondée en 1962, qui a fini par dépoussiérer son site Web, elle dégageait un chiffre d'affaires autour de 10 M€ en 2017 (même niveau qu'en 2014), on peut donc estimer qu'elle devrait toujours se situer dans ces eaux-là. Ce que confirme le doc suivant :
(Paris, 7 Août 2020) – Le classement CSA Research 2020 place TTB et le Groupe Tradutec (13 sociétés en France et au Benelux, 10 M€ de CA) à la 17e position des entreprises de services et de technologies linguistiques d’Europe de l’Ouest. 
Or dans un autre communiqué (datant de 2019), aucun CA n'était annoncé mais « une croissance du chiffre d’affaires à 2 chiffres en 2018 », ce qui me semble plutôt exagéré vu que le groupe semble stagner à 10 M€ depuis pas mal d'années (résultat plus qu'honorable quoi qu'il en soit). 


Mais bon, aucune autre donnée financière n'étant disponible, puisque ce groupe "familial" a choisi de préserver la confidentialité de ses comptes, impossible de se faire une opinion précise. 

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Passons à Optilingua International, qui continue d'annoncer fièrement plus de 40 ans d'expérience et 80 centres en Europe. Cela dit, l'évolution de la principale société du groupe, Alphatrad, dont la moyenne du CA s'élevait à 5 268 323 € sur la période 2009-2012, atteint tout juste 5 286 133 € sur la période 2018-2020, avec un résultat en perte de plus de 410 K€ sur les exercices 2019 et 2020. Source.

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ADT International annonce un CA de 6 050 300 € sur l'année 2020, soit une baisse de près de 2 millions d'euros par rapport à 2014.

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Enfin, WHP International a un CA moyen de 3 645 287 € sur la période 2017-2019, soit une réduction de moitié par rapport à 2014 !  


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CPW Group, le petit dernier qui était déjà passé dans le giron d'HL Trad, fait désormais partie d'Acolad ! 

La boucle est bouclée.

Conclusion

Mis à part Ortec, Datawords et le groupe NOVAE, qui semblent poursuivre leur progression en mode indépendant, il ne reste plus grand chose des groupes français de 2014, totalement phagocytés par ACOLAD.

Seul Tradutec se maintient depuis dix ans au même niveau de 10 M€/an, les trois autres "Internationaux" (Optilingua, ADT et WHP) étant sensiblement en retrait.

La progression exponentielle d'Acolad n'en est que plus remarquable !



lundi 17 janvier 2022

Télétravail : sommes-nous prêts ?

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Cette réflexion part de ce tweet :

et de l'esquisse de discussion en réponse à ce tweet :


Depuis deux ans maintenant, le télétravail est mis en lumière par l'épidémie de Covid. Durant les périodes de confinement strict, de nombreux salariés ont été contraints de télétravailler, les entreprises - ou les administrations publiques - ne pouvant pas faire autrement.

Un bouleversement obligé, subi le plus souvent dans la précipitation, une totale improvisation. Avec pour règle principale le système D ! La mise en place du télétravail étant liée à la bonne volonté des gens, voire à l'utilisation de leurs moyens personnels - téléphone, ordinateur, imprimante, liaison haut débit, etc. - plutôt que professionnels. Aucune organisation, aucune préparation en amont.

En revanche, à mon niveau, aucun changement entre avant et après le Covid, tout s'est fait de manière transparente, dans la continuité : je télétravaille depuis 1985 ! En indépendant, ce qui introduit naturellement une première différence fondamentale avec le télétravail des salariés (encadrés au plan contractuel).

Une deuxième différence porte sur la nature du télétravail : 100% à domicile, en alternance domicile/tiers-lieux (coworking, télécentres, bureaux partagés, centres d'affaires), télétravail nomade ou itinérant, etc. Dorénavant, il est même question de télétravail en intérim...

Globalement, je me situe dans la catégorie « télétravailleur indépendant 100% à domicile », capable si besoin de travailler depuis n'importe où : un mobile, un ordinateur portable et une liaison haut débit suffisent. Résumé ainsi, cela semble simple. Or ça ne l'est pas, loin de là ! 

Si l'on dresse un tableau des pour et des contre du télétravail, en gros nous obtenons le résultat suivant :



Dans le cadre de mes recherches sur le télétravail, j'ai pu examiner un corpus d'environ 45 mille mots exprimant l'opinion d'employés (d'une même société) mis en télétravail à l'occasion du confinement, d'où j'ai extrait les 30 premiers termes les plus fréquents, pondérés selon leur fréquence dans le nuage sémantique ci-dessous :

Comparés au tableau des pour et des contre, il est manifeste que ces termes témoignent clairement des principales préoccupations des salariés, mais ils sont également applicables aux indépendants, le domaine que je maîtrise le mieux. Et dont je vais parler dans ce billet.

Précisons aussi que le télétravail, comme toutes les formes de travail, est avant tout un phénomène social. Qui ne nous concerne pas seulement en tant qu'individus ou entreprises, mais également la société dans son ensemble. Il faut professionnaliser le télétravail à tous les niveaux !

De même que les pour et les contre sont les deux côtés d'une même pièce, les pour sont le côté face, les contre le revers de la médaille, chaque côté ayant ses propres implications psychologiques et physiques, personnelles, professionnelles, sociales, dont il s'agit de faire la synthèse dans une recherche perpétuelle d'équilibre, d'un point équidistant entre les avantages et les inconvénients, d'un compromis permanent entre qualité de vie et rémunération suffisante pour assurer une existence décente à soi et sa famille.

Je vais donc examiner globalement les pour et les contre selon mon expérience sur la période 1985-2022.

POUR

L'un des principaux avantages mis en avant lorsqu'il est question de se mettre à son compte chez soi est la meilleure qualité de vie personnelle (hors travail) et professionnelle (travail). Qui se réalisent dans un seul et même lieu : le domicile. Où il faut organiser les deux fondamentaux qui rythment notre vie :
  • l'espace
  • le temps
L'espace

A minima l'organisation de l'espace peut se résumer à une pièce dédiée (éviter si possible l'espace réservé ou le coin bureau dans une pièce commune). Pour vous autant que pour votre famille. Si vous pensez télétravailler durablement en mettant votre ordi sur un coin de la table de la cuisine ou de la salle à manger, laissez tomber ! 

La pièce dédiée aura une surface habitable suffisante (au minimum 12 m²) et sera bien éclairée, climatisée et silencieuse (critère indispensable à la concentration), avec un poste de travail aménagé en tenant compte de tous les aspects bureautiques, écrans, télécoms, câblages, etc., y compris une chaise (ou un fauteuil) ergonomique, voire un repose-pieds, une bibliothèque, des étagères, des rangements, etc.

Il peut également être bon d'avoir un plan de travail permettant d'alterner position de travail assise et debout, rester assis pendant de longues heures n'étant pas la panacée... Votre corps vous dictera la position à prendre au bon moment. Chacun(e) a sa propre posture "idéale", à vous de trouver la vôtre.

Le temps

En général le temps de travail augmente à domicile (par ex. le temps économisé sur les trajets est transféré sur le télétravail). Donc il est primordial de gérer et d'organiser ses horaires. Là encore, chacun(e) a sa propre recette, en fonction de son caractère et de la discipline qu'on réussit à imposer à soi-même (ou pas)...

D'autant que cela ne dépend presque jamais de nous, mais le plus souvent des contraintes professionnelles (délais de livraison, qui peuvent être négociés mais sont subis la plupart du temps) et personnelles (famille, tâches ménagères, etc.).

Le principal problème au domicile est de trouver l'équilibre entre temps familial et professionnel, le partage du temps étant généralement plus conciliable en télétravail. Il y faut de la rigueur et tout le monde ne l'a pas. Au bureau le temps est imposé, généralement à des horaires fixes. À la maison, ils sont flexibles, mais gérer la flexibilité peut s'avérer plus contraignant qu'obéir à une imposition. Là encore, question de nature et de caractère.

Autant de questions qui relèvent de l'autonomie de la personne et de la capacité de chacun(e) de s'organiser.

*

CONTRE

Le pendant de ce qui précède est l'interférence de la vie professionnelle sur la vie familiale (ou vice-versa).

Le débordement du temps de travail sur les nuits, les fins de semaines, les congés, et l'impact sur les relations avec le conjoint et les enfants. Nous avons tous lu pendant les confinements successifs de nombreux témoignages de parents ne réussissant plus à gérer les interactions avec les enfants à cause de la promiscuité subie et permanente, du manque d'espace vital pour chaque membre du foyer. Une pièce dédiée permet de réduire ces frictions, voire de les éliminer.

Quant à l'isolement possible, il doit être pris en compte en amont au moment du choix. Télétravailler doit être un libre choix, pondéré et volontaire. Cela ne signifie pas forcément se désocialiser : il faut être capable de réinventer ses relations sociales et professionnelles, les contacts se créent au niveau de la mise en réseaux : professionnels (collègues et clients), commerciaux (où chacun(e) prospecte selon ses goûts et spécialités), sociaux (places de marché, plateformes Web), d'amis et de relations, etc. Il y a quelques années, j'écrivais « Le traducteur est un animal social », cela vaut plus que jamais en ces temps de télétravail pour tous les indépendants...

Les retombées de mauvais choix initiaux sur la santé peuvent vite se faire sentir, autant au plan physique (dos, articulations, etc., conséquences de mauvaises postures), que psychologique (difficultés à se motiver, déprime, mauvaise humeur, etc.), avec toutes les implications négatives au niveau personnel, familial, professionnel. Sans oublier que tout cela finit par se traduire par des problèmes financiers : un télétravailleur malade ne produit - et ne gagne - rien !

Bien que des progrès aient été faits pour les micro-entrepreneurs, les amortisseurs sociaux ne sont pas légion, et dans ces moments-là la solidarité avec le "réseau" est fondamentale. 

Je parle d'expérience : en 2014, j'ai eu un gros pépin de santé et suis resté inactif pratiquement toute l'année. Or lorsque vous êtes aux abonnés absents pendant des mois, les clients, même s'ils vous sont fidèles, se tournent inéluctablement vers la concurrence, personne n'est irremplaçable ! Donc avec un CA réduit à peau de chagrin, début 2015 j'ai activé mon réseau pour demander de l'aide, et ça a marché... Un soulagement au niveau financier, certes, mais aussi et surtout psychologique : l'entraide fait chaud au cœur, et bien que télétravaillant seul, vous comprenez que vous n'êtes pas seul.

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En conclusion, le télétravail est un choix, pratiqué autant au niveau individuel, que de l'entreprise et des pouvoirs publics. L'épidémie de Covid a placé ce choix à l'ordre du jour (en diffusant le télétravail pratiquement à l’ensemble de la population active, y compris en l'imposant sous peine d'amende), au début beaucoup s'est fait dans l'improvisation et sans accompagnement, mais de plus en plus de voix se font entendre pour pérenniser cette nouvelle forme de travail (marginalisée depuis longtemps) après la crise, en France mais pas seulement.

Depuis plus d'une dizaine d'années, diverses études ont fourni des statistiques et tenté d'analyser le télétravail, mais presque uniquement coté salariés, très peu d'études sur les indépendants. La définition même du télétravail selon le Bureau International du Travail est claire :   
Le télétravail se définit comme le recours aux technologies de l’information et des communications (TIC) – ... – pour effectuer des tâches hors des locaux de l’employeur (Eurofound et BIT, 2017).
Seule concession aux indépendants :
En règle générale, les définitions du télétravail n’incluent pas les travailleurs de l’économie des plateformes: par exemple, un travailleur indépendant qui travaille principalement à domicile n’est pas systématiquement considéré comme télétravailleur, mais peut être classé comme travailleur à domicile aux termes de la convention (n° 177) de l’OIT sur le travail à domicile, 1996.

Des définitions poussiéreuses qui ne collent plus à la réalité, mais en cours d'évolution...

En France, le statut du télétravailleur indépendant se confond généralement avec celui de micro-entrepreneur, très simple à créer. C'est après que ça se complique, lorsqu'il faut faire vivre et développer son métier.

Le télétravail est une question de caractère : il y en a à qui cela convient, et d'autres à qui cela ne convient pas, qu'on soit salarié ou indépendant. Les italiens utilisent l'anglais pour nommer le télétravail : smart working. Selon moi c'est reconnaître l'intelligence de cette forme de travail. Ce qui ne veut pas dire que les autres formes de travail ou celles et ceux qui les pratiquent ne seraient pas intelligents, loin de là. C'était juste pour terminer ce billet sur un clin d'œil :-)




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Liens sur le télétravail :