* * *
Transition à l'heure où je rentre dans ma 34e année d'activité professionnelle, véritablement commencée en 1985, en tant que traducteur-interprète :
En cette année 2019, qui marque aussi le 90e anniversaire du concept de traduction automatique selon Federico Pucci, je prépare une version anglaise d'un billet synthèse dédié à ce précurseur de la traduction automatique telle qu'elle existe aujourd'hui, précurseur absolu mais totalement méconnu.
Or c'est à l'âge de 33 ans, en décembre 1929, qu'il présente pour la première fois en public son idée de "traduction mécanique", idée qu'il mettra noir sur blanc dès l'année suivante dans le premier ouvrage au monde publié sur la question, intitulé Le traducteur mécanique et la méthode pour correspondre entre européens, chacun en connaissant uniquement sa propre langue », 1e partie.
La préface, rédigée à Salerne, porte la date du 10 décembre 1930, et le livre a été mis sous presse dès l'année suivante, An IX de l’ère fasciste !
Or comme nous l'avons déjà vu, mises à part les maquettes publiées, j'en suis arrivé à la conclusion que Federico Pucci n'a jamais pu réaliser aucun prototype "physique" de sa "machine à traduire". Malheureusement ! Et j'aimerais bien me tromper...
Pour autant ce livre nous lègue un témoignage extraordinaire des deux premiers exemples de l'histoire de textes traduits "mécaniquement" : l'un de l'italien au français, et l'autre du français à l'italien.
Et l'auteur nous y expose très exactement - et de façon très détaillée - la méthode (de fonctionnement de sa machine telle qu'il souhaitait la concevoir) par laquelle il traduit "automatiquement" de l'italien au français, puis du français à l'italien :
Jusqu'à présent, je ne me suis pas suffisamment attardé sur ces témoignages, uniques au monde, du raisonnement déployé par Federico Pucci pour atteindre ce résultat.
Certes, j'ai déjà souligné l'originalité de son approche et de sa vision radicalement différente de tous les autres travaux connus à ce moment-là (et même par la suite), voire utopique, puisqu'il rêvait dès 1929 d’une machine simple (Temps nécessaire pour apprendre à traduire : une minute…), pratique, peu encombrante et abordable : en 1950 le livre seul était vendu 150 lires et, dans son idée, 600 lires avec la machine !
Une machine portable et bon marché (450 lires...), donc, juste imaginée, mais qui devance la réalité actuelle de près d'un siècle !
Or la clé de son cheminement intellectuel se base sur quelques idées simples (qui anticipent notamment deux autres concepts largement reconnus aujourd'hui : celui d'une simplification de la langue, et celui du good enough en traduction), dont la principale est celle-ci :
- d'abord réduire le discours aux unités minimales de sens qui le composent (monèmes),
- puis transposer cette réduction dans l'autre langue,
- et au final le destinataire de l'expérience remet les mots (idéalement générés par la machine) dans l'ordre de la langue cible, dont il est locuteur natif.
Un parcours qui vient probablement de loin : coucher sur le papier une telle méthode suppose que sa conception repose sur des années de travail préalable et de réflexion longuement mûrie, et non pas sur une improvisation de dernière minute. Donc si son auteur a 33 ans lorsqu'il la présente pour la première fois au public, cela signifie toutefois qu'il y pense depuis longtemps (il n'a que 27 ans lorsqu'il publie en 1923 son premier ouvrage connu, intitulé Manuale di letteratura Inglese : Parte I (I principali scrittori) (Salerne, Tip. Fratelli Jovane), sans compter qu'il a écrit ensuite pendant 30 ans (j'ai retrouvé 10 livres) pour accompagner l'évolution de son invention et la faire vivre, envers et contre tout (et tous)...
Une invention à laquelle il a consacré son existence sans jamais obtenir la moindre reconnaissance, et plongée dans un oubli abyssal durant des décennies ! Une ignorance et une indifférence totalement injustes et injustifiées, qui perdurent aujourd'hui encore...
Permettez-moi donc de traduire les 2 tableaux de clés internationales (fondamentales et dérivées) et les règles d'application pratique des tableaux qu'il nous propose. C'est là le cœur de son invention, ce que la machine à traduire était censée transposer "mécaniquement" pour permettre le passage "automatique" d'une langue à l'autre.
À noter que la première étape de sa méthode a consisté à mettre au point un système de clés internationales valables pour les langues romanes, mais que quelques ajouts aux tableaux auraient suffi également pour les langues germaniques et slaves, selon les mots de Pucci lui-même :
En passant de la théorie à la pratique et de la synthèse à l’analyse, je présente ici un tableau des clés fondamentales, valables pour les langues romanes. Nous verrons plus tard que, moyennant quelques ajouts, elles servent également pour les langues germaniques et slaves.
TABLEAU DES CLÉS INTERNATIONALES
– A –
Idéogrammes
|
||||
a.
|
le, la, les
|
article déterminant
|
||
+
|
notion de pluriel
|
|||
m
|
masculin
|
|||
f
|
féminin
|
|||
D.
|
Celui, celle, ceux, celles, ce
|
démonstratif
|
||
Celui-ci, celle-ci, ceux-ci, celles-ci
|
-
de proximité
|
|||
d.
|
Celui-là, celle-là, ceux-là, celles-là
|
démonstratif
|
||
-
d'éloignement
|
||||
I
|
Je
|
premier pronom pers. sing.
|
||
II
|
Tu
|
deuxième pronom pers. sing.
|
||
III
|
Il
|
troisième pronom pers. sing. masculin
|
||
IIIf
|
Elle
|
troisième pronom pers. sing. féminin
|
||
I+
|
Nous
|
premier pronom pers. pluriel
|
||
II+
|
Vous
|
deuxième pronom pers. pluriel
|
||
III+
|
Ils
|
troisième pronom pers. pluriel
|
||
IIIf+
|
Elles
|
troisième pronom pers. pluriel féminin
|
||
M.
|
mon, ma, mes
|
initiale
des possessifs
dans la
plupart
des langues indo-européennes
|
||
T.
|
ton, ta, tes
|
|||
S.
|
son, sa, ses
|
|||
N.
|
notre, nos
|
|||
V.
|
votre, vos
|
|||
L.
|
leur(s)
|
|||
R.
r.
|
que, lequel, laquelle
|
notion de pronom relatif
|
{
|
indique personne
indique chose
|
&
|
conjonction et
|
– B –
fondamental
|
dérivé
|
CONCEPT
|
EXPLICATION
|
|
Infinitif
|
Les trois lignes indiquent les trois temps : la première, le premier temps (présent) ; la deuxième, le deuxième temps (passé) ; la troisième, le troisième temps (futur).
|
|
|
Présent indicatif
|
Le petit trait vertical indique la détermination du temps ; donc, dans ce cas : détermination du premier temps.
|
|
|
Passé imparfait
|
Première détermination du deuxième temps.
|
|
|
Passé simple
|
Deuxième détermination du deuxième temps.
|
|
|
Futur
|
Détermination du troisième temps.
|
|
&
|
Notion de conjonctions (Subjonctif)
|
||
|
Subjonctif présent
|
||
|
Subjonctif passé
|
||
X
|
Participe ou gérondif
|
Le X indique la participation de 2 concepts
|
|
|
Participe présent
|
||
|
Participe passé
|
||
!
|
|
Impératif
|
|
K
|
|
Conditionnel
|
K
a été choisi parce que le temps conditionnel commence par le son K dans toutes les langues romanes et germaniques
|
Original :
Monsieur Pucci développe ensuite un deuxième tableau de clés fondamentales, qui détaillent le premier tableau en déclinant les différents pronoms personnels, articles, possessifs, démonstratifs, etc., dans le but, dit-il, de permettre aux personnes peu cultivées (nous sommes dans les années 30) de retrouver facilement les équivalents en italien.
Ces tableaux sont suivis par des règles d'application qui en précisent le fonctionnement :
- Les mots indiqués dans la deuxième colonne du tableau A doivent être remplacés par l'idéogramme correspondant, à l'exception de m et de f, reliées par un trait d’union à l'adjectif pour en indiquer le genre. Par exemple, pour « bon livre », écrire : bon-m livre [Concept: bon (masculin) livre].
- Les idéogrammes du tableau B expriment la variation qu’apporte la flexion du concept de mode infinitif. Par exemple, si l’on souhaite communiquer porterait en sachant qu’il s’agit du mode conditionnel du verbe porter, on écrira porter
- Nous devons essayer d'exprimer nos propositions dans un mode de construction directe et en remplissant les ellipses (mots sous-entendus). Par exemple, si je souhaite communiquer partirò domani (l’italien sous-entend le pronom personnel), soit je partirai demain, écrire: io partirò domani (en ajoutant donc le pronom), à savoir : I partire (idéogramme du futur) domani.
- Remplacer les diminutifs, les suffixes affectueux, etc., en faisant précéder le mot modifié par un adjectif qui le modifie dans le sens voulu : giardinetto = piccolo giardino (jardinet / petit jardin).
- Lorsque l’on rencontre des expressions peu communes en italien, il est bon de les remplacer par des expressions plus simples ayant un sens équivalent.
Blanc
J'omets plusieurs passages en terminant par le dernier exemple qu'il donne, de l'anglais vers l'italien :
Supposons qu'on veuille exprimer en anglais : I shall give him a good pen.
En sachant que I shall give est le futur de to give, l'anglais détermine :
L’italien transpose : I dare III3 14 buono -f penna.
Et le français : I donner III3 14 bon -m stylo.
Avant de reconstruire, d'après le tableau : je donnerai à lui un bon stylo.
Le locuteur de langue maternelle n'a plus qu'à remettre les mots en ordre dans sa langue :
Io gli darò una buona penna / Je lui donnerai un bon stylo...
À noter que le 14 devrait correspondre à l'article indéfini, comme dans l'exemple allemand 14 schon -n Buch (j'ai relevé plusieurs coquilles dans le livre, mais n'ai trouvé nulle part la liste des articles indéfinis, "articoli indeterminativi" en italien).
En conclusion (pour l'instant), comme nous pouvons le voir dans sa méthode appliquée à l'extrait de Dante :
les phrases sont décortiquées en monèmes, ces unités minimales de sens (substantif, verbe à l'infinitif, adjectif, adverbe, etc.) censées être traduites à partir du vocabulaire mobile intégré à la machine, qui rend un message composé d'idéogrammes (clés internationales ayant le même sens dans les différentes langues) et de mots traduits dans sa langue au locuteur natif, lequel n'a plus alors qu'à remettre les mots dans l'ordre.
Bonne année 2019 à celles et ceux qui me lisent ... et aux autres :-)
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