Moi, j'ai été remplacé par une machine avec toute l'équipe de mecs qu'on était.
Ah, une machine super ! Elle fait tout le travail à notre place !
Elle le fait aussi bien que nous... sinon mieux.
Et puis, alors, la machine, ça a pas besoin de salaire,
ça a pas besoin de repos, ça a pas besoin de vacances, c'est jamais malade !
Et le pire, ça a même pas besoin de travail !
Coluche, Le Chômeur (1986)
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Savez-vous ce qu'est la suprématie quantique ? En termes simples :
On parle de suprématie quantique lorsqu’un ordinateur quantique parvient à effectuer un calcul qu’aucun superordinateur classique ne pourrait réaliser dans un délai raisonnable, quel que soit l’algorithme utilisé.
Dans le cadre des nombreux billets que j'écris actuellement sur l'intelligence artificielle et l'informatique quantique, j'ai été amené à m'intéresser au binôme Nvidia-Deepl, article sous-titré :
Comment traduire 60 millions de mots en 2 secondes chrono !?
C'est expliqué dans le billet...
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J'y précise également « en quarante ans de métier, à la louche, j'ai traduit environ 20 millions de mots... », d'où la disproportion vertigineuse entre ces deux "valeurs", qui témoigne de la rupture d'échelle que l'IA introduit dans des domaines jusqu'alors apanage exclusif de l'expertise humaine.
Intrigué par le rapport entre les deux (et par ses conséquences...), j'ai interpelé un ami matheux sur LinkedIn en lui posant la question suivante : « J'ai traduit 20 millions de mots en 40 ans. DeepL traduit 60 millions de mots en 2 secondes. Sachant qu'il m'aurait fallu 120 ans pour traduire ces 60 millions de mots, combien de fois DeepL est plus rapide que moi ? ».
Ce à quoi Vincent m'a répondu par un bémol : « Faudrait mettre non pas 40 ans en secondes (40 * 32,5 millions) mais le temps effectif de travail sur 40 ans. »
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Donc, première question : dans le rapport avec DeepL, dois-je calculer les 40 ans dans leur totalité, ou uniquement le temps effectif passé à traduire (disons 240 jours ouvrés/an à 8h/jour) ? La réponse est loin d'être évidente. J'imagine que les deux options s'affrontent, en jugeant la comparaison en temps absolu moins rigoureuse, et celle en temps de travail effectif plus honnête. Mais est-ce qu'elle est plus pertinente pour autant ? J'en doute !
Car un calcul fondé uniquement sur le temps de travail effectif donne l’illusion que j'aurais pu aller plus vite, comme si le reste de ma vie humaine (repos, distractions, maladies, projets parallèles, relations vie professionnelle / vie personnelle, familiale ou sociale, etc.) était un temps « non productif ». Or ce n’est pas du tout du temps perdu, mais mon temps d’existence, qui fait partie intégrante de mon métier.
Par conséquent, pour moi, il m'a bien fallu 40 ans pour traduire ces 20 millions de mots (puisque c’est le rythme que m'a permis ma "vie humaine"), et les 40 ans doivent être comptés dans leur intégralité, soit 1262304000 secondes [14610 jours (10 années bissextiles) x 86 400 secondes].
Pour les partisans de la seconde option, nous avons 40 ans x 240 jours ouvrés x 8h x 3600 secondes, soit 276480000 secondes.
Mais moi, je suis un humain. Je ne travaille pas 24/7/365. J'ai aussi une vie. Traduire, ce n’est pas vivre, juste une partie. Le tout, c’est comprendre, ressentir, choisir, douter parfois. Mais aussi dormir, marcher, aimer, tomber malade, discuter, apprendre, rater, recommencer. DeepL ne dort pas. Mais DeepL ne comprend pas non plus. Je ne vais pas aussi vite, certes, mais je vais plus loin...
- 20 millions de mots traduits en 276480000 secondes donne un rapport de 0,07234
- DeepL traduit 30 millions de mots à la seconde
- Le rapport est donc de 30000000 sur 0,07234 = 414708322
DeepL va de toute façon 414 millions de fois plus vite que moi !
Ce qui reste tout à fait honorable...
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À bien y penser, je me dis que la question est mal posée : on ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable ! Par conséquent, on ne peut pas comparer l'humain et la machine. Voir la fulgurance de Coluche en exergue.
Donc, deuxième et dernière question : combien de mots traduirait DeepL en 40 ans, sans avoir besoin de manger, de dormir, de salaire, de congés, de vacances et ni même de travail !?
--> 30000000 mots x 1262304000 secondes = 37 869 120 000 000 000 mots !
Réponse : à mon rythme actuel, il me faudrait juste ... 75 738 240 000 d’années pour traduire l'équivalent 😎
Je crois que parler de suprématie n’est pas exagéré !
Pour résumer, savez-vous ce qu'est la suprématie traductionnelle ? En termes simples :
On parle de suprématie traductionnelle lorsqu’une IA parvient à effectuer si rapidement une traduction "good enough" qu’aucun traducteur humain ne pourrait réaliser la même dans un délai raisonnable, quel que soit le système traditionnel qu'il utiliserait.
À chacun(e) d'en tirer les conclusions qui s'imposent...
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