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Volkswagen, premier constructeur automobile mondial et premier pourvoyeur d'emplois en Allemagne, est surtout le dernier des communicants !
S'il fallait donner une date au début du scandale, nous fixerions le 18 septembre dernier. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Michael Horn, President & CEO de Volkswagen Group of America :
On September 18, 2015, Volkswagen Group of America, Inc. and Volkswagen AG received notice from the US Environmental Protection Agency, US Department of Justice and the California Air Resources Board informing VW that those agencies had determined that some of our 2.0L 4-cylinder TDI vehicles do not comply with applicable emissions regulations.Or le scandale a pris depuis des proportions planétaires, et cela fait déjà plus de quinze jours que j'observe la réaction du Groupe pour faire face à une crise réputationnelle sans précédent, qui risque bien de faire voler en éclats l'image de la marque, mais pas seulement, et cela de façon durable, voire irrémédiable.
Face à l'ampleur du phénomène, j'ai d'abord pensé que le Groupe allait immédiatement mobiliser une armée de cabinets de communication et de spin doctors pour mettre en place, et vite fait, une stratégie de com' qui tienne la route, c'est le cas de dire :-)
Apparemment il n'en est rien, les jours et les semaines commencent à s'accumuler sans que Volkswagen ne semble vraiment prendre la mesure des risques pour sa survie-même !
Le premier article qui m'a vraiment interpellé sur la question a été publié le 24 septembre, il s'intitule Even textbook crisis management can't save VW, et sa thèse est la suivante :
Pour autant qu'un Groupe serait en mesure de brillamment maîtriser sa communication de crise [chose dont Volkswagen a déjà prouvé dans le passé qu'il n'en était pas capable (en niant d'abord un problème ayant provoqué un décès, avant de devoir faire marche arrière en catastrophe)], certaines fautes sont impardonnables, elles ne peuvent tout simplement pas être commises (there are some mistakes that simply cannot be unmade).Et le journaliste de commencer son article en énumérant les 3 principes clés de la gestion de crise, enseignés pendant plus de trente ans aux étudiants en MBA des business schools américaines :
- Act fast.
- Take responsibility.
- Declare the crisis over...
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1. Agir vite
Près de trois semaines ont déjà passées, Or même si l'action du Groupe peut sembler rapide de prime abord, dans les faits elle est au mieux incohérente et sans la moindre coordination, et au pire elle va droit dans le mur en cumulant les fautes de communication, en ajoutant le dilettantisme et l'incompétence au mensonge. Le mensonge étant bien évidemment l'installation d'un logiciel truqué sur des millions de véhicules, et depuis des années !
Puisque selon des témoignages rapportés par Bild, les premiers logiciels "tricheurs" auraient été installés en 2008 ! Donc, déjà il est prévisible que des montagnes d'actions en justice vont s'abattre sur Volkswagen, un peu dans tous les pays du monde !
Un premier procès pour fraude a d'ailleurs été intenté aux États-Unis par deux professeurs de Stanford, Matthew Smith et Bernadette Meyler, qui accusent Volkswagen de les avoir trompés, puisqu'ils ont acheté en 2013 une Passat TDI justement pour avoir donné foi aux promesses publicitaires de la marque, soit-disant concernée par les problèmes liés aux changements climatiques, qui vantait les qualités d'un véhicule "vert" et "ami de la nature" : fini le diesel de papa, proclamait fièrement le constructeur, nous sommes entrés dans la nouvelle ère du diesel ("We’ve ushered in a new era of diesel", "This ain't your daddy's diesel"). On ne saurait mieux dire ! La suite ici :
Donc outre les pertes commerciales, énormes depuis le début (38% de capitalisation en moins en deux jours), il faudra faire face autant aux actions de classe qu'aux procès des gouvernements nationaux et des instances internationales, et peut-être plus grave encore, à la perte de confiance de millions de clients qui se sentent floués...
Or dans une autre analyse intitulée "Moteurs truqués: Volkswagen pris dans le piège de sa propre communication", Yves-Paul Robert, directeur associé et responsable de la communication de crise chez Havas Worldwide, estime justement que les clients sont les grands oubliés de cette non-communication.
Une communication mal maîtrisée qui n'a pas été sans conséquence sur la dégradation de l'image du groupe, particulièrement visible sur internet...ajoute Bertrand Girin, cofondateur de Reputation VIP, startup spécialisée dans la gestion de la réputation sur internet.
Car sur le Web, c'est la cacophonie. Une présence (impossible d'appeler ça un "site") créée à la va-vite ici (EN), une autre là (FR), mais sur Internet que fait l'internaute moyen désireux d'en savoir plus sur la position officielle du groupe dans cette affaire ? Il se rend tout simplement sur le site institutionnel de Volkswagen, dont voici une capture de la page d'accueil :
Déjà, la première chose qui saute aux yeux, c'est que chez eux, tout à l'air normal ! Il n'y a pas un avant et un après 18 septembre, non, apparemment il ne s'est rien passé ! Pire encore : le seul espace où cliquer pour espérer en savoir davantage, "Current Customer Information" renvoie au lien info.volkswagen.com, qui renvoie lui-même ... à RIEN !
En pleine catastrophe, c'est quand même impressionnant... (ils ont corrigé le lien depuis) ! Donc que fait l'internaute désabusé dans ces cas-là ? Il se rabat sur Twitter en espérant en savoir plus ! Là encore, en apparence tout est normal :
Une image tranquillisante, ludique même, parfaitement adaptée à la situation. Où l'on apprend que le bon lien était non pas info.volkswagen.com mais volkswagen.com/info, passons...
Ceci dit ce qui me frappe énormément sur ce compte officiel, c'est un beau 0 pointé pour Following ! Donc nous avons une marque suivie par près de 50 000 internautes mais qui ne suit elle-même PERSONNE ! Bonjour la conversation.
Ont-ils jamais compris chez Volkswagen que cela renvoie l'image d'une marque arrogante, qui ne montre absolument aucun intérêt pour dialoguer avec ses clients ? Alors que dans les jours, les semaines et les mois qui viennent la marque va être sollicitée comme jamais elle ne l'a été auparavant par des millions de personnes souhaitant en savoir plus ? Et souhaitant dialoguer sans intermédiaire, une formidable opportunité à saisir pour le Groupe...
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Mais il n'y a pas que les clients qui sont concernés. Dans la une du Canard enchaîné du 30 septembre, le journal jette un pavé dans la marre : "Le chantage de Volkswagen pour faire taire la presse", en citant un courriel daté du 22 septembre, adressé par MediaCom, agence d'achat d'espaces de Volkswagen, aux dirigeants de quotidiens régionaux. La teneur est la suivante :
En clair, si votre journal ne publie aux dates voulues aucun article relatif à la crise VW, nous maintiendrons les investissements. Sinon, nous serons dans l'obligation d'annuler ce dispositif...
La régie s'est défendue en disant bla bla bla, bla bla bla, qu'il n'y avait aucune coupure budgétaire prévue (chose confirmée par le constructeur), juste une demande de décalage des publications, pour éviter de "percuter" l'actualité. Pourquoi pas ! Mais ceci dit, faudrait quand même que leur rédacteur apprenne un peu mieux l'expression écrite, parce qu'à le lire, il ne se fait pas trop bien comprendre !
Par ailleurs n'importe qui ayant un peu l'esprit tordu, comme moi, pour citer quelqu'un au hasard, pourrait immédiatement penser que ci cela se fait en France, ça peut se faire aussi ailleurs. Mais bon, si Volkswagen dit le contraire, il n'y a franchement aucune raison de douter de leur parole :-)
Et puisque l'on parle d'agir vite, à noter que cette communication date du 22 septembre, c'est-à-dire au tout début de la crise. La veille ils annonçaient encore "Think Blue", "Think New" ! Les réponses sont tombées comme des couperets. Donc agir vite, certes, mais agir bien aussi.
C'est ainsi que certaines valeurs dont la marque se faisait le flambeau depuis des années se retournent contre elle avec violence, et le constructeur risque de regretter amèrement son choix (Volkswagen must be ruing the day it made “sustainability” a core value).
2. Prendre ses responsabilités
Assument-ils ? "Nous n'avons aucune excuse et cette manipulation a profondément choqué Volkswagen." Ah bon ! Eux non plus n'étaient pas au courant ?
La fraude aux tests anti-pollution est un désastre moral et politique pour Volkswagen. Le comportement illicite des ingénieurs et techniciens impliqués dans le développement du moteur a choqué Volkswagen autant qu’il a choqué le public. Nous ne pouvons que nous excuser et demander à nos clients, au public, aux autorités et à nos investisseurs de nous donner une chance de faire amende honorable.Parce qu'ils voudraient peut-être nous faire croire qu'une poignée d'ingénieurs et de techniciens ont décidé, en toute autonomie, d'installer un logiciel truqué sur plus de 11 millions de véhicules, commercialisés pendant des années dans le monde entier, sans que les instances dirigeantes ne le sachent, ne le découvrent ni n'en entendent parler ?
Donc soit ils mentent (encore !), soit ils sont totalement incompétents. Je ne sais ce qui est le pire, mais dans un cas comme dans l'autre, ils continuent vraiment de nous prendre pour des cons ! Ils se sont sûrement laissés déborder par les événements, mais qu'ils se reprennent, car à moins de repartir en faisant preuve d'humilité, s'ils persistent dans leur délire, qu'ils sachent d'ores et déjà que le point 3 (la crise est surmontée), ce ne sera ni pour demain ni pour après-demain, et peut-être même jamais...
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En conclusion, ce que je pense aujourd'hui, c'est que, selon toute probabilité, cette crise aura aussi des répercussions sur l'ensemble de l'industrie automobile. J'ignore dans quelle mesure, mais j'imagine que tous les constructeurs doivent déjà plancher sur leur communication et sur les initiatives à mettre en place pour profiter de la situation et faire face à la tempête à venir.
Sauf Volkswagen !
P.S. Il n'est peut-être pas trop tard. Vous aurez certainement noté qu'il y a une erreur dans le titre : Wolkswagen, le désastre ... communicationnel. Juste histoire de rappeler à la marque, que lorsqu'elle veut, elle peut mieux faire :-)
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